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Philippe Blanchon, par Marie-Hélène Villierme, 1988 |
Le poème de Jacques
[extrait]
4
Casseroles
des rues.
Pluie.
Cortège
des transpirations
des
avenues.
La
foule brandit
des
banderoles.
La
forêt se renverse
et
mord la ville.
Plus
moyen d’atteindre la mer…
Jacques,
élégant comme un cerf,
passe
la porte et le trottoir.
La
foule brandit
casseroles
la
vérole lasse
la
révolte gronde.
Hier,
tout
à l’heure,
un
policier riait avec des enfants
sur
des bancs de sardines.
La
fête a perdu toutes ses dents
et
un ordre est un ordre.
Les
chevaux vont charger.
La
lumière frit des étés
où
s’égosille l’oiseau
a
fait place à l’hiver.
La
révolte gronde.
Qui
est du côté du collier ?
La
médiocrité, la bêtise
ont
frappé le groin des démocrates.
On
complote à tous les étages,
les
couloirs des organisations
ont
des relents de cadavres.
Les
mères crient :
“On
déguise l’agneau en loup,
“on
lui injecte la colère
“alors
on en appelle aux bonnes mœurs
“et
aux bonnes manières.”
Jacques
sait l’énergie insultée :
la
matraque lui frappe l’épaule.
Ce
sont les poumons vidés
qui
redécouvrent le goût de l’air.
Jacques
pense :
Belle
invention !
Je
vous salue
de
toute ma colère
avec
vos pleines mains de mépris
semé
comme grain de faim
crevant
les yeux des hommes
qui
commencent à gronder ;
les
entendez-vous ?
Dans
quel puits sont tombés
les
noëls terrestres ?
Ce
ne sont plus les mers
mais
les villes qui se séparent
et
un péage assure le tri
au
passage des avenues.
Jacques
est sourd.
Ne
saurait plus articuler.
Il
pleure pour tous les Jacques
du
globe.
Les
larmes.
Le
coup porté près de l’oreille
ouvre
ses yeux et leurs réserves.
Quel
mot peut-il encore être un baume ?
Quel
mot pour tout panser ?
Jacques
est et restera muet
ainsi
le veut-il et le doit
alors
qu’hurlent les sexes,
des
cordons d’âmes
et
les fièvres cadenassées.
Un
langage s’invente,
s’urgentent
les maisons
dans
les crevures d’azur,
la
pieuvre des nues,
le
piège des rues
et
les crevasses mûres.
L’an
Zéro, la peste…
Mais
d’autres quartiers sont intacts :
des
boulevards
de
vieilles endormies.
Puis
les nuages en sursaut.
Vapeur
qui
luit, soulevée.
L’eau
qui se réveille
et
ils flottent
recouvrant
le sol :
moutons
désespérants,
troupeau
en mare,
cauchemar
recouvert de bruine.
Jacques
est ici et ailleurs.
Jacques
se crucifie
aux
candélabres
qui
jouent aux dés
quand
se délabre.
Mais
ailleurs il est Icare
qui
s’unit à Antée
dans
les bras de Déméter.
Pour
renaître
Jacques
traverse la rue
maintenant
sans cortège,
aux
ecchymoses énormes.
Il
porte la main à son cou
pour
amoindrir sa douleur.
Il
serre la main de Victor
qui
joue à l’opéra.
Ce
ne sont que des mafias,
avance
Jacques, vers la bibliothèque
où
les étagères forment les cercles
de
son enfer et de son espoir dernier.
1995-96
in La nuit jetée
[La chasse
aux fantômes]
Ainsi donc le bleu s’éclaircissait peu à
peu
aurore fraîche de son corps forcissant
L’adieu aux platanes troqués aux
lampadaires
de cette aube reflétée au sol éclatant
se fit présomptueux par les fleurs
nouvelles
Ainsi fut le grand parc allumé des pas
conquérants
Ainsi le soleil froidement
promettait la fatigue pour plus tard
Le ciel mangeait le bleu de la lune
dévorée par la mer et sa ferraille
portuaire
d’un long voyage fait à quai
Souvenir de plomb immergé
La Cité mourait malgré son grand parc
aux fontaines de cendre et de glaise
Grands arbres des Cités mourant lentement
avec de sombres et silencieux sursauts
d’agonie
agonie aussi bien définie que celle d’un
vieux pigeon
Ville matinale portant sans effort sa
cécité
encore et espérait encore jusqu’à
l’événement prochain
Et c’est cela que nous dit l’aube
dans ce blanc des vagues amnésiques
Ville qui ne fut que mirage
dans un désert de sel et de pierres
de pierres vacillantes à la clarté de
l’âme
de quelques marins qui y pêchaient encore
Ville qui fut pourtant l’évidence
l’évidence avant que d’être et qui jamais
ne meurt
Ville qui fut puisque furent le parc
la place à l’aube ou les délires d’alcool
dans la nuit de ces rues misérables
puisque furent les fleurs et les arbres
les arbres le regardant en pleurant
et les fleurs odorantes de ses aveux.
Printemps
Saison de tous les nivellements
Car le chant du rossignol
c'est savoir le départ impossible
mais aussi l'heureux voyage
c'est le cœur qui redevient muscle
de son accélération insomniaque
1989
Printemps
Saison de tous les nivellements
Car le chant du rossignol
c'est savoir le départ impossible
mais aussi l'heureux voyage
c'est le cœur qui redevient muscle
de son accélération insomniaque
1989
in Reliquat de santé &
La nuit jetée
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